Olivier Huard est un artiste qui vit et travaille à Marseille (France).
Par étapes, son travail s’est simplifié et densifié. Ce travail dévoile un univers dominé par le végétal et dans lequel l’homme n’apparait que rarement et de manière fortuite, timide, témoignant par-là de son entière dépendance à une Nature hégémonique ; les formes débordent quelquefois de leurs contours, évoquant une réalité indécise et instable.
Ces paysages disent la force du vivant, son étrangeté, sa violence et son érotisme. La peinture n’imitant plus la nature, mais y puisant l’élan nécessaire pour corrompre toute velléité narrative.

Extrait de l’entretien EDEN avec P. Allard

Dans cet ensemble intitulé EDEN, la place principale est occupée par une nature plutôt sauvage, et particulièrement par le végétal ; la présence de l’homme et des animaux y est très discrète. Avais-tu en travaillant conscience de cette hiérarchie ?

Oui c’est vrai que dans mes peintures de la fin 2017 et du début 2018, on est en présence de paysages singuliers où la nature se fait dévorante un peu à la façon des peintures du douanier Rousseau où les feuillages tendent à la démesure, ou leur présence réduit celle de l’homme. J’avais l’idée de créer des jardins « gonflés » de vie. Le  paysage des origines avant l’homme ou peut-être ce qui se passe après lui, une fois que la nature a repris ses droits. La force vitale des plantes, leur développement, leur beauté sont exemplaires. Il faut avoir observé la vitesse à laquelle la glycine lance ses tiges, la force avec laquelle en silence elle enserre des poteaux de bois et patiemment les écrase. Il faut avoir observé la résurrection d’un arbre mort à travers ses rejets. L’attention portée à la nature est essentielle dans mon travail et dans ma vie.

Il n’y a pas si longtemps, tu réalisais des papiers scarifiés au cutter, travail long et absorbant exigeant sans doute une certaine forme d’isolement. Est-ce que les encres et gouaches d’aujourd’hui signifient plus de légèreté et d'ouverture ?
Lorsque je scarifiais un papier au cutter, cela pouvait prendre plusieurs jours voir plusieurs semaines. Le plaisir de ce travail tient à l’expérience de retrait du monde, d’oubli du temps qu’il produit.
Concernant les encres et les gouaches, ce sont des techniques qui donnent l’impression d’une pratique simple, rapide, légère, même si en réalité, il n’en est rien. Mais la légèreté matérielle du papier, l’usage de l’eau avec l’encre et les couleurs, procurent un sentiment de plus grande liberté, le droit à plus d’audace, à l’erreur, l’envie d’avancer. Cette sorte de dynamique procure l’élan qu’il faut pour plonger dans l’inconnu de la peinture.

Dans cet ensemble intitulé EDEN, la place principale est occupée par une nature plutôt sauvage, et particulièrement par le végétal ; la présence de l’homme et des animaux y est très discrète. Avais-tu en travaillant conscience de cette hiérarchie ?
Oui c'est vrai que dans mes peintures de la fin 2017 et du début 2018, on est en présence de paysages singuliers où la nature se fait dévorante un peu à la façon des peintures du douanier Rousseau où les feuillages tendent à la démesure, ou leur présence réduit celle de l’homme. J'avais l'idée de créer des jardins « gonflés » de vie. Le  paysage des origines avant l'homme ou peut-être ce qui se passe après lui, une fois que la nature a repris ses droits. La force vitale des plantes, leur développement, leur beauté sont exemplaires. Il faut avoir observé la vitesse à laquelle la glycine lance ses tiges, la force avec laquelle en silence elle enserre des poteaux de bois et patiemment les écrase. Il faut avoir observé la résurrection d’un arbre mort à travers ses rejets. L’attention portée à la nature est essentielle dans mon travail et dans ma vie.

Concernant les gouaches et les peintures, la vivacité des couleurs donne effectivement à la végétation  force et exubérance, les encres de chine sont souvent très contrastées. Peut-on parler d'une sorte d'exotisme ?
Est exotique ce qui me semble-t-il est étranger, différent, qui remet en question la confortable conviction que ce que nous connaissons est la seule vérité possible. A la naissance, découvrant le monde, j’ai dû considérer ça comme très exotique. Enfant, les objets et notamment les masques africains que je découvrais chez mon grand-père archéologue, étaient exotiques. Je continue à trouver exotique les différentes formes de la vie ; passe encore pour les animaux dont beaucoup ont deux yeux, une bouche et nous ressemblent. Mais il est vrai que le monde végétal est d’une étrangeté absolue.
Mon travail, sans que j’en sois toujours conscient, cherche à rendre compte de cette étrangeté du réel. En cela, je trouve des affinités avec des artistes comme Peter Doig, Gauguin, Malcom Morley, ou encore Adrian Ghénie. Malcom Morley utilise une palette tropicale qui nous décroche instantanément de la réalité quotidienne. Adrian Ghénie fait directement référence au douanier Rousseau et compose des paysages qui procèdent du collage. Dans mes dernières encres, j’introduis des découpages provenant d’une autre encre, ce que j’appelle du « coupé décalé ».

Mais quel exotisme dans le monde d’aujourd’hui ?
Vaste question...mais deux idées me viennent.
Bientôt, quand les quelques tribus qui existent encore dans la forêt amazoniennes auront été anéanties, il n’y aura plus de références alternatives, rien qui puisse nourrir l’imagination en dehors de la conquête de Mars. Alors toutes les vies humaines seront étroitement programmées, on aura trouvé des solutions pour se passer de la nature. Cet avenir est bien plus probable et bien plus angoissant que la violente apocalypse que l’on nous annonce de toutes parts.
La seconde idée est que les artistes peuvent à leur niveau, jouer un rôle dans la défense de l’altérité. Le peintre engagé dans une aventure individuelle, solitaire, dans l’isolement de son atelier, paie au prix fort une autonomie qui lui permet de rêver, d’imaginer, de ne pas entendre les injonctions du système, de devenir un sujet archaïque, à moins qu’au contraire il soit le grain de sable capable de faire dérailler la machine à aplatir le monde.

Que fait Saint Sébastien dans ton Eden ?
Comme beaucoup de saints, Sébastien a pu au cours des siècles, être utilisé de nombreuses façons différentes. A la renaissance certains peintres le brosse sous des traits de jeune éphèbe, le soldat devient un symbole homoérotique, au 20ième il a même été une icône gay pour des écrivains (Mishima par exemple) et des photographes. Mais c’est initialement un soldat romain avec une histoire compliquée. Ici, son corps en décomposition est en train de nourrir les plantes qui commencent à le recouvrir. C’est une illustration de la force et de l’intelligence de la nature, de sa capacité à phagocyter, à digérer ce qui s’oppose à elle. Dans mes gouaches et dans mes toiles, les couleurs acides voir fluorescentes que peuvent prendre les plantes sont l’écho de leur toxicité latente. Plantes pyrophiles, algues tueuses, pollens agressifs, arbres qui communiquent ; le jardin d'Eden n'est pas nécessairement très hospitalier. Avec ou sans les hommes, l’Eden reste un jardin sauvage.

Extrait du texte de Jean Klépal « Olivier Huard, aujourd’hui » – papiers scarifiés

D’abord un fond peint selon la technique du « all over », c’est-à-dire une répartition quasi uniforme de pigments colorés recouvrant une surface entière, sans aucune profondeur de champ.
Ensuite un long et très méticuleux travail de grattage au cutter. Incision par incision, le papier est attaqué comme le serait une plaque de cuivre par la pointe sèche. Par enlèvements pointillistes, des formes s’inscrivent jusqu’à révéler une forme donnée.

Olivier Huard, aujourd’hui

Un texte de 2009, écrit à l’occasion d’une exposition à la galerie Mourlot, à Marseille, s’intéressait à «Un univers d’entrelacs». Le dessin au trait primait alors dans le travail d’Olivier Huard.
Aujourd’hui, si le besoin du dessin est toujours aussi prégnant, il est balancé par l’envie de s’immerger dans la peinture en se libérant du guide dessiné.

Cette exposition à Cassis fait la part belle à ces deux facettes, étroitement dépendantes l’une de l’autre, pôles d’équilibre visités par l’artiste dans des temps différents.
L’accrochage en rend compte.
Le texte de 2009 se termine ainsi :
«Nous voici en présence d’un artiste déterminé, opiniâtre et soucieux d’avancer avec rigueur dans la voie qu’il sent comme sienne. Il se tient à l’écart des bidouillages, comme du bavardage ambiant. Bonne raison pour ne pas le perdre de vue.» Rien à modifier.

Peintures

La richesse est grande. Le bonheur tient à ce que leur appréhension requiert de l’attention. Nous savons bien que si le visiteur ne voit pas le tableau, c’est rarement de la faute du tableau.
Ce que nous découvrons ici est à l’évidence le fruit d’une lente décantation. Nous sommes loin du jet spontané tant à la mode. La peinture est une affaire sérieuse, à prendre au sérieux, qui demande le temps de la réflexion et de la maturation.
D’abord une préparation, des strates à déposer comme celles d’une mémoire, à laisser reposer. La peinture comme un voyage dans le temps et dans l’esprit.
Des fragments, des zones réservées, bousculent la représentation frontale, ils suscitent tensions et résonances. Il s’agit d’une invitation au voyage.
Nous allons au-devant d’échos de diverses provenances possibles: le surréalisme et André Masson, Matisse, et même peut-être l’expressionisme allemand. Ils sont tous conviés en un bouquet chatoyant, qui joyeusement les sollicite et les détourne. Huard connaît bon nombre de ses prédécesseurs, il les butine et en fait son miel. Il jardine avec assurance son patrimoine.
Le bleu franc du Grand fond fascine et irradie. Il porte un grand bal du printemps chargé de souvenirs. Le peintre maîtrise sa palette.
Cette Crique azuréenne s’organise en un jaillissement festif où pourraient aussi être conviés Guillaume de Machaut et Paolo Uccello, invités par un aéropage surréaliste. L’envie de se joindre à eux est forte.
Rousseau, pourquoi Rousseau? Peu importe, l’évidente influence matissienne apporte joie et bonheur. La vie est là, présente sous divers aspects. Luxe, calme et volupté?
Le Collectionneur, tranquille et assuré jouit de ses songes colorés. Un outre monde accessible se présente à lui. À nous aussi peut-être.

Papiers scarifiés

D’abord un fond peint selon la technique du «all over», c’est-à-dire une répartition quasi uniforme de pigments colorés recouvrant une surface entière, sans aucune profondeur de champ.
Ensuite un long et très méticuleux travail de grattage au cutter. Incision par incision, le papier est attaqué comme le serait une plaque de cuivre par la pointe sèche. Par enlèvements pointillistes, des formes s’inscrivent jusqu’à révéler une forme donnée. Ici, principalement des jeux de mains, des statuettes, et des masques fantastiques. Ce que Seurat et Signac ont inauguré par accumulation de points colorés, Huard le poursuit par arrachement des couleurs.
Rien n’est donné à l’évidence, l’œil doit s’adapter, il doit voyager et recueillir les indices. Le temps long nécessaire à l’exécution du travail est justement requis au visiteur regardeur: ce travail insiste sur l’impératif d’une vision et d’une réflexion préalables pour accéder à la nuance.

Les études de mains, thème si fréquent dans l’histoire de la peinture, de Lascaux à nos jours, en passant par la Renaissance, composent un ensemble assez fascinant. Elles racontent à chaque fois des histoires hors champ, qu’il appartient à chacun de découvrir.
Dans la tradition culturelle indienne, les mudra- – gestes symboles effectués avec les mains – forment un alphabet de la vie (Main 3).
Ces mains qui dansent (Main 5) peuvent évoquer le «bharata natyam», danse classique du sud de l’Inde, aussi bien que La Danse, de Matisse.

Les images scarifiées qui nous sont présentées s’apparenteraient-elles à des métaphores géophysiques? On pourrait voir dans l’un des dessins (Main 1) une évocation d’un récif de coraux vivant en symbiose avec leur milieu. Chacun connait la fragilité de ces organismes si délicats...
Et puis se faufile aussi un souvenir des études de mains rugueuses, marquées par le travail, issues des études de Fernand Léger pour son tableau magistral Les Constructeurs.

Oser représenter une main, pleinement.

Jean Klépal – Mars 2015